De Marc Wislez
Dis, Grand Papy…
Noël en ville, Pâques aux îles
« Dis Grand Papy te souviens-tu quand tu es monté sur l’île pour la première fois, chercher des œufs de Pâques ? »
« Oui ma petite Zoey … j’avais ton âge, c’était en 1936, un peu avant la seconde guerre mondiale. Depuis le printemps de cette année-là nous sommes toujours montés, chaque année, sur l’île, à Pâques et au premier de l’an. A deux exceptions près : lors de la seconde guerre mondiale, lorsque la zone libre a été envahie par les italiens et les allemands entre 1942 et 1944 et, en 2020, ce lundi de Pâques-là, nous étions confinés. Mais, je me souviens de ce dimanche 12 avril 1936, nous étions à la veille de la victoire électorale du Front Populaire. Tiens, il faisait à peu près le même temps qu’aujourd’hui, avec cette clarté douce et l’île Sainte-Marguerite qui semble si proche. »
« Dis Grand Papy je ne comprends pas bien tout ce que tu me dis, mais pour moi ce sera la première fois aussi.
Zoey ravivait les souvenirs de son arrière-grand-père, les remettait dans la lumière, comme la poursuite éclaire le personnage principal de la scène familiale qui se rejouait aujourd’hui. Toute la famille bruissait de cette excitation née du choc des émotions et des sensations. La joie des retrouvailles des uns avec les autres brillait du chatoiement de cette lumière d’avril. Les promesses de cette belle journée, alliées à la perspective de cette mini croisière, la perte de repères qu’elle annonçait, finissaient de bouleverser chez tous la quiétude ordinaire des jours précédents. Leur joie, délestée de toute gravité, communiait avec l’allégresse de cette journée.
« Les passagers pour Sainte-Marguerite, les passagers pour Sainte-Marguerite sont priés d’embarquer. »
« C’est nous ! C’est à nous ! »
« On entend que toi Zoey, allons-y et surtout n’oubliez rien sur le quai ! » dit à la volée la maman de Zoey.
Sur le Caribe, le navire le plus gai de la baie de Cannes et le bateau préféré des enfants, et bientôt de Zoey, la traversée, si courte fût-elle, enthousiasma les plus petits et ravit les adultes.
« Regardez ces plumetis d’argent qui scintillent et dansent sur les coques des navires ! »
« Je n’ai jamais vu pareille mer cristalline ! »
« Mais, le paysage ne s’ennuie jamais avec Sainte-Marguerite, cette île est un bijou posé sur la ligne d’horizon ! »
« Regardez ces nuages au-dessus de Grasse on dirait de la chantilly ! »
« Cette île est une forêt qui flotte sur la Méditerranée ! »
Sitôt débarquée sur le ponton et le quai remis à neuf, la joyeuse famille allégée de toutes ses exclamations, et bien pourvue de mets et de chocolats de pâques, s’en remet au Grand Papy et à …Zoey.
« Dis Grand Papy, où va-t-on les chercher ces œufs, les cloches sont peut-être déjà passées. »
« Ne vous inquiétez pas les enfants, ces cloches, elles nous viendront du sud, de l’île Saint-Honorat voisine, nous les entendrons très bien le moment venu. Zoey, avec moi, les autres vous connaissez le chemin. »
En se rapprochant de la forêt, des couples de goélands, nouveaux parents et perchés sur les arbres, les toits des maisons, les mâts de voiliers, considéraient tous ces touristes comme des dangers en puissance pour leurs progénitures.
« Dis Grand Papy, ils sont beaux tous ces oiseaux blancs ! »
« Eek eek eek eek eek Oubliez nos œufs notre
eeeeekkkkk eeeekkk colère serait immense
eek eek ekekekekekek ! Notre vengeance terrible »
« C’est à nous qu’ils parlent ?!
« Oui, ils parlent de nous, ce sont des Goélands, même si tout le monde les dit mouettes, ils se comportent comme les rois des oiseaux ici. La mairie leur a joué un mauvais tour, il y a deux années en enlevant de l’île toutes les corbeilles à déchets, dans lesquelles ils venaient se nourrir. Comme ils sont trop nombreux dans leur milieu naturel, ils installent leurs nids sur les toits des maisons ici, mais à Cannes aussi. On tente de limiter leur nombre et pour cela il faut empêcher ces œufs d’éclore. Parce que, si tu lui prends ses œufs, la maman en pond d’autres à nouveau. La solution qui a été trouvée est celle-ci : on fait voler un drone rempli d’un produit qui est pulvérisé sur les œufs du nid. Ce produit va étouffer l’embryon dans l’œuf, sans que la femelle le sente, elle va donc continuer à couver ses œufs. »
« Mais c’est trop méchant de faire ça ! »
« Oui, ma petite Zoey, c’est dur à accepter, ça peut paraître choquant mais les goélands mangent les œufs d’autres espèces d’oiseaux présentes ici, et si l’on ne fait rien, nous n’aurons plus que des goélands et plus d’autres espèces oiseaux, tu voudrais ça toi ?
« Non, Grand Papy, moi j’aime bien aussi les chants des autres oiseaux et à Cannes, avec maman, l’hiver, on donne à manger des graines et du pain à d’autres oiseaux, le rouge-gorge et la bergeronnette, la fauvette et la mésange, tous ces oiseaux qui chantent si bien. »
La très sémillante troupe familiale progressait, du nord vers le sud et de l‘ouest vers l’est de l’île. La grande pinède de pins parasols désormais dans leur dos, le petit groupe avalait pas à pas la longue allée Sainte-Marguerite au sol rouge et bordée par tous les tons de verts arborés par le cyprès, l’arbre de Judée, l’olivier, le cèdre, le pin parasol et le vert tendre de la grande férule.
« Papa, quel endroit as-tu choisi cette année pour chasser ces œufs de Pâques ? le même que l’année passée ? »
« Non, l’année dernière nous étions dans les grandes prairies de l’allée du Grand Jardin, cette année nous allons changer pour les pelouses méditerranéennes de l’allée des Myrtes. Vous verrez, nous serons à découvert et très près du ciel. Vous aurez du mal à imaginer que début décembre, plusieurs milliers de personnes se retrouvent, ici, qui pour courir le cross des îles, qui pour encourager les participants. »
« Dis Grand Papy c’est quoi les myrtes ? »
« Le myrte est une plante que l’on trouve tout autour de la Méditerranée. Ici, elle fleurira en mai, juin, les fleurs blanches sentent très bon et on l’utilise souvent ainsi que la baie pour aromatiser la cuisine, parfumer des liqueurs. Ses baies sont très appréciées des oiseaux comme le merle. Dans la Grèce antique le fruit servait comme épice et on en faisait aussi de l’huile et du vin. On confectionnait aussi des couronnes de myrtes pour ceindre les têtes des nouveaux mariés, des déesses, des champions olympiques et des princesses. Si tu es sage, Zoey, je te tresserai une couronne de myrte.
Après avoir laissé sur leurs épaules gauches la Maison Forestière et la propriété du Grand Jardin et sur leurs épaules droites les grands masques immergés de Jason de Caires Taylor, nos marcheurs cheminaient en surplomb le long de la mer.
« Vous voyez l’île Saint-Honorat et son clocher, vous entendrez bientôt ses cloches sonner à toute volée. »
« Oui Grand Papy quand est-ce qu’on arrive, si ça continue tous les œufs vont fondre ! »
« Ah Ah Ah oui, il a rarement fait aussi chaud pour un 31 mars, nous sommes presque arrivés. »
Le chemin virait à gauche, grimpait sèchement, creusé en son centre par les récentes et nombreuses pluies printanières qui avaient raviné son sol et fait tant de bien à la forêt. La Méditerranée était désormais dans leur dos.
« Voici une belle et grande prairie et mon petit doigt me dit que des œufs et d’autres trésors de Pâques ont été rapportés de Rome par ces cloches, bénis par le Pape. » C’est l’instant choisi par les cloches de Saint-Honorat pour carillonner et lancer le signal de la recherche des œufs.
« Allez-y les enfants, dispersez-vous mais restez dans notre champ de vision ! »
Zoey, qui adorait courir, s’échappa en direction de deux, trois petits bosquets d’arbousiers et pistachiers et rentra prudemment dans l’un d’eux. Quelques secondes lui suffirent pour que ses yeux s’habituent à la semi-obscurité qui régnait, adossée au silence. Une petite tache claire attira son attention, éveilla sa curiosité, titilla son excitation. Elle s’approcha de cette tache, discerna des œufs, deux, trois peut-être et, allait clamer sa joie et sa fierté, lorsque…
« Pi pi pii piip piip Petite fille chérie
pipip piipp piiip piiip C’est la vie dans ce nid
pipip pipip !!! Chéris la tout plein »
Zoey se figea, tétanisée par ces aigus flûtés qui proclamaient l’alerte générale. Lorsqu’elle reprit un peu ses esprits, elle s’immobilisa, les notes si pointues stoppèrent. Elle put fixer son attention sur les œufs qu’elle distinguait mieux. Trois petits œufs de couleur bleu-vert, avec de petites taches, dans un nid. Un nid ! Un nid se dit Zoey, mais alors ce sont de vrais œufs d’oiseau.
« Pip Pip », le son venait de sa droite, elle tourna lentement la tête vers son origine. Tout d’abord elle ne vit rien, puis distingua ce qui lui sembla être un bec jaune, puis, au-dessus, un rond noir brillant, cerclé de jaune. L’oiseau la regardait de son œil fixe, un beau merle tout noir. Un bref mouvement sur une branche légèrement en surplomb attira son attention. Un autre œil noir l’observait, celui de la merlette ! Sous les regards croisés, appuyés et silencieux du couple parental, la peur bleue de Zoey s’évanouit dans l’ombre protectrice du bosquet. Ses esprits recouvrés, elle fut tentée de tendre la main vers l’oiseau pour le caresser, mais son intuition lui dicta de ne pas le faire.
« Bonjour les oiseaux, toi tu es le papa et toi tu es la maman !? Quand je vais raconter ça à mon Grand Papy il ne va pas me croire. Je vous promets de ne RIEN dire à personne ! Vous aimez les baies de myrte ! Si vous êtes encore là le mois prochain je vous en apporterai ! Quand je vais raconter tout ça à Grand Papy, il va me tresser une belle couronne de myrte ! »
Zoey battit en retraite aussi lentement qu’elle avait pénétré le territoire des merles. Sitôt sortie du bosquet, elle prit ses jambes à son cou, pour retrouver son Grand Papy.
« Dis Grand Papy tu ne DE-VI-NE-RAS-JA-MAIS, ce qui m’est arrivé !