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Le VolCan(nes) de solitude

Nouvelle - 1er Prix

De Natalia Bissey

La Croisette scintillait sous le soleil matinal, mais l'éclat du jour ne parvenait pas à dissiper l'ombre du mystère qui planait sur Cannes. Le 70ème anniversaire du festival approchait, et la tension était palpable. Les organisateurs, déjà en alerte, devaient maintenant gérer une crise de taille : une Palme d'Or avait été volée, un secret bien gardé pour éviter un scandale.

Il y a deux jours, dans le silence nocturne du Palais des Festivals, une silhouette féminine s'était glissée parmi les ombres. Le maquillage parfait, la robe iconique, tout chez elle évoquait Marilyn Monroe. Elle avait franchi les barrières de sécurité, ses talons résonnant faiblement sur le marbre, et s'était emparée de la Palme d'Or. Laissant derrière elle un parfum envoûtant de mystère, elle avait disparu aussi rapidement qu'elle était venue. Dans sa fuite précipitée, une boucle d'oreille en lapis-lazuli était tombée sur le sol.

Andrew Morrow, détective privé au flair inégalé, arpentait les pavés de la rue d'Antibes, ses pensées focalisées sur l'affaire. Engagé par le directeur de sécurité du festival, il savait que le temps jouait contre lui. La ville entière semblait baigner dans un sentiment d'urgence. Andrew, issu d'une famille anglaise installée à Cannes depuis plus d’un siècle, connaissait les moindres recoins de la ville. Tout comme le lord Brougham en 1834, ses arrière-grands-parents étaient tombés sous le charme de ce nouveau paradis où il faisait tellement doux en hiver. Et ils n’étaient pas les seuls à apprécier cet endroit. Cannes séduisit plusieurs cultures : anglais, russes, italiens...Tous sous le même ciel azur et un énorme amour pour ce petit pays !

Son premier arrêt fut le Marché de Forville.

Ici le parfum de la fraise récoltée la veille se mêlait à celui du jeune concombre et à celle d’une huître bien iodée. Construit en 1884 et couvert en 1932, le marché de Forville était un des marchés les plus emblématiques de la Côte d’Azur. Ce n’était pas un simple lieu de vente mais une vraie histoire des cultures cannoises. Andrew garda un souvenir ineffaçable des dimanches matins avec sa ‘mommy’ Elsy. Elle connaissait tous les marchands locaux et le petit Andrew profitait de leur générosité en testant des belles cerises françaises avec une tranchette de melon moelleux et juteux. Quel souvenir, quelle époque...

Au marché, Andrew écoutait les rumeurs, cherchant un fil conducteur. Un nom revenait souvent : « Sofia Zlaya ». Cette actrice, autrefois pleine de promesses, n'avait jamais atteint la reconnaissance qu'elle espérait. Frustrée et amère, elle avait disparu des radars ces dernières années. Une conversation attira particulièrement son attention : les murmures parlaient d'un incident survenu quelques jours plus tôt lors d'un cocktail VIP au Nikki Beach Club, où Sofia avait fait une scène remarquée. Andrew, intrigué, consulta les réseaux sociaux pour en savoir plus. Une vidéo publiée par un invité montrait Sofia en pleine crise de frustration, se plaignant de l'injustice et de l'ingratitude de l'industrie cinématographique.

Fort de ces informations, Andrew se dirigea vers le Suquet, le quartier historique de Cannes. Il se faufila à travers les ruelles étroites et ombragées, cherchant des indices. Il connaissait par cœur chaque petite demeure de couleur vive. C’était le cœur de Cannes : le quartier accroché sur les pentes d’un rocher avec une vue splendide sur la baie et le vieux port de la ville. Près du presbytère, il rencontra une vieille connaissance, un libraire de la librairie Rossignol rue Jean Daumas, une des plus anciennes de Cannes. Il lui confia avoir vu Sofia récemment. Elle semblait être agitée et avait mentionné avoir réservé une chambre à l'Hôtel Martinez, un des palaces les plus mythiques de la Croisette.

Encouragé par cette nouvelle information, Andrew se rendit à l'Hôtel Martinez, où Sofia avait été vue. Un lustre retro monumental, un énorme escalier graphique où tant de stars ont défilé et posé, le style art déco sembla perturber Andrew pour quelques secondes. Il secoua la tête comme un canard pour évacuer cet état trouble et se dirigea vers la réception. Il utilisa son charme expérimenté pour obtenir des informations sur l’actrice. Le concierge, impressionné par son insistance, révéla qu’elle logeait effectivement à l’hôtel mais elle avait réservé sous un pseudonyme : « Norma Jeane ». Andrew fut surpris en entendant ce nom. Il se souvenait d'une émission sur Marilyn Monroe, où il avait appris que Norma Jeane Baker était son nom de baptême.

Andrew monta discrètement dans la chambre 224 avec une vue panoramique à 180 degrés. Il écouta à la porte et entendit des bruits de mouvements précipités. Après quelques minutes, il frappa à la porte, prétendant être un service de chambre. L'actrice ouvrit, et Andrew engagea la conversation. Il remarqua que Sofia ne portait pas les boucles d'oreilles mais arborait une bague ornée d'une pierre bleue intense, du même lapis-lazuli que la boucle d'oreille perdue…Subséquemment un lien indélébile se dessina dans le cerveau agité d’Andrew et il se précipita pour aller réinterroger le responsable de sécurité du Palais.

Dans une salle de surveillance, les agents expliquèrent la raison pour laquelle ils n'avaient pas réagi lors du vol. « Nous avons vu Marilyn Monroe entrer... » dit l'un d'eux, « et nous étions tellement surpris que nous n’ayons pas pensé à vérifier. » Andrew réalisa alors que c’était Sofia. Elle s'était maquillée et habillée pour ressembler à Marilyn Monroe afin de passer les barrières de sécurité sans être inquiétée. 

Ce complément d’information amena Andrew à se rendre sur la Croisette où les lumières scintillaient et les festivités nocturnes battaient leur plein. Grâce à son regard ciblé et percutant, il repéra vite Sofia, embusquée parmi les fêtards, observant la scène avec un air de triomphe dissimulé et une profonde tristesse empeignée dans ses yeux du même bleu touchant que celui du lapis-lazuli, une pierre de solitude. Discrètement, il s'approcha d'elle.

"Bonsoir, Sofia..." dit Andrew doucement, en se plaçant à ses côtés.

Sofia tourna la tête, assez surprise. "Je vois que je vous ai manqué cher Monsieur ? Qu’est-ce qui vous amène ?"

"Oui... Je sais. Nous avons déjà eu l'occasion de parler à l'hôtel tout à l’heure…" répondit-il calmement. "Euh... Je pense que nous avons des choses à nous dire."

Sofia tenta de feindre l'ignorance. "Je m’excuse. Je n’ai pas la tête en ce moment pour les affaires amoureuses."

Andrew sortit la boucle d'oreille en lapis-lazuli de sa poche. "Vous avez perdu ceci la nuit du vol."

Sofia pâlit. "Je suis navrée, je suis fatiguée… Je n’arrive vraiment pas à comprendre, de quel vol parlez-vous ? Et cette boucle d’oreille ne m’appartient pas ! "

Andrew fit un pas en avant. « Et cette bague que vous portez ? Elle a la même pierre, taillée sous une forme très particulière. Vous étiez déguisée, n'est-ce pas ? Pourquoi en Marilyn Monroe ? »

Sofia, réalisant qu'elle était démasquée, soupira profondément. "Vous ne comprenez pas. Cette Palme d'Or aurait dû être la mienne il y a des années. J'ai été ignorée, snobée ! Marilyn pour moi est le symbole d’une femme seule que personne ne comprend. Les hommes voulaient seulement l’avoir au lit et les femmes tricotaient des longs ragots dans son dos. Par jalousie, par haine !» Les sanglots arrivèrent brusquement et l’empêchèrent de respirer en l’obligeant à parler de plus en plus doucement. « Je voulais enfin la reconnaissance que je mérite. La solitude et l’indifférence de ce monde ont abattu mon humanité. Je me sens comme une dépouille, un zombie dirigé par une seule idée de se venger"

Andrew hocha la tête, compatissant. "Je comprends votre frustration."

Andrew et Sofia discutèrent longuement, Sofia avouant finalement tout. Andrew, avec sa perspicacité et son empathie professionnelle, réussit à convaincre Sofia de rendre de son plein gré la Palme d'Or.

En hommage à cette enquête secrète et à l’ingéniosité de Sofia Zlaya, la mairie de Cannes décida d’illustrer dans les quatre coins de la ville sur les façades des maisons et des bâtiments publics les icones du cinéma, notamment celle de Marilyn Monroe, transformant ainsi ce mystère en une part durable de l'histoire culturelle de la ville. La diva fut immortalisée sur une façade de l’immeuble au 16 boulevard d’Alsace. Cannes, avec ses traditions et son esprit cosmopolite, venait de vivre une aventure digne des plus grands films. La ville, toujours majestueuse, était prête à accueillir un nouveau jour, libre de toute ombre, mais riche d’une histoire de plus à raconter.